Samuel Nugues : la forêt à travers l’objectif 

En novembre prochain, le festival Naturellement Doubs (FR) accueille le photographe morgien Samuel Nugues. Tout en finesse, ses clichés célèbrent la beauté du vivant.

La nature, Samuel Nugues en a fait son terrain de jeu. Âgé de 32 ans, ce jeune photographe et architecte de profession arpente les contrées helvétiques et avoisinantes en quête du sauvage. C’est son intérêt pour l’ornithologie qui lui a mis le pied à l’étrier. Depuis son enfance, Samuel parcourt la forêt pour observer les oiseaux ; une passion qui s’est étendue à l’ensemble des animaux sauvages.

À travers ses clichés saisissants, il a su rassembler une communauté de plus de 10’000 abonnés sur son compte Instagram. Régulièrement primé, son travail s’illustre dans de prestigieux concours internationaux tels que Asferico ou encore Namur, dont il se distinguait en remportant le prix du public en 2018.

Quid de son approche visuelle ? Samuel se concentre sur la faune de proximité et dépeint principalement des figures familières : écureuils, blaireaux, cerfs, chouettes ou encore lynx. Sa pratique photographique va à l’essentiel et se caractérise par une composition épurée et un cadrage souvent en plan rapproché. Immersives, ses images offrent un véritable face-à-face avec le vivant.

Des photographies à découvrir dans le cadre de la 6e édition du festival Naturellement Doubs, du 8 au 10 novembre à Labergement-Sainte-Marie (FR).

Samuel Nugues, la forêt sera présente lors de votre prochaine exposition au festival Naturellement Doubs. Pourquoi souhaitiez-vous mettre en lumière cet environnement en particulier ?

Ce sujet a fini par s’imposer à moi en considérant le nombre d’images dont je disposais. De plus, je n’avais jamais réellement abordé cette thématique. Jusqu’à présent, mes expositions se configuraient plutôt par localités telles que le Jura ou la Suisse romande. En plongeant dans l’univers de la forêt, je ne m’intéresse plus à une région spécifique, mais à un biotope. La plupart de ces images, réalisées au cours des trois dernières années, possèdent un ancrage local et ont été prises dans le Jura. D’autres proviennent aussi de mes voyages à l’étranger, notamment en Slovénie.

Comment concevez-vous cette exposition ?

Pour l’instant, l’exposition existe surtout dans ma tête (ndlr. Les propos ont été recueillis en août 2024) ! Je n’ai pas encore procédé à la sélection des photos, car il faut que je fasse avant mon layout, soit la « mise en page du mur » en fonction du nombre de mètres linéaires dont je disposerai.

D’où provient cet intérêt pour la nature ?

Du haut de mes deux ou trois ans, ma mère, intéressée par l’ornithologie, me lisait déjà des livres sur la nature. Je me rappelle de l’ouvrage s’intitulant Le Guide des oiseaux (ndlr. Édition 1972). Richement illustrée, chaque double page du livre présentait une espèce par l’intermédiaire d’explications et d’un grand dessin. Depuis, j’ai toujours eu un attrait pour les oiseaux, et plus globalement pour la nature. Par ailleurs, à travers ma scolarité obligatoire, j’ai également bénéficié de cours d’ornithologie à Genève. Nous nous rendions dans plein d’endroits, dont le Jura, pour aller baguer les chouettes de Tengmalm. Pour l’anecdote, lors du festival de La Salamandre, l’un de mes tirages d’une nyctale de Tengmalm avait été acheté par un spécialiste — aujourd’hui retraité — issu de ce cours !

Puis la photographie est arrivée progressivement. En 2008, j’avais un camarade de classe qui pratiquait ce médium avec son père. Nous sommes devenus très proches et complices. J’ai commencé à acheter du matériel de photographie et à me rendre dans la nature avec lui.

Que cherchez-vous à transmettre au travers de vos photographies animalières ?

J’essaie de partager les émotions perçues lors de ces longs affûts, mais aussi de dévoiler l’interaction des animaux avec leurs habitats. Selon moi, mettre en exergue la beauté de la nature est une manière de sensibiliser le public aux préoccupations actuelles, à savoir le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité. C’est ma manière de contribuer à ces enjeux écologiques sans pour autant prétendre agir sur le côté moralisateur. 

Pour revenir sur cette notion d’émotion, auriez-vous le souvenir d’un moment marquant vécu en affût ?

L’année passée (ndlr. en 2023), aux premières lueurs du jour, deux énormes cerfs se sont battus à dix mètres de moi. Le décor était féérique avec les rayons de lumière qui traversaient les feuilles et la souille à proximité de la scène rendait cette atmosphère surréelle ! L’événement s’est produit alors que je me rendais à mon affût. Au début, j’étais surpris de n’entendre aucun cerf bramé, car je m’y étais rendu fin septembre, soit durant la période de brame. Ils étaient donc censés être actifs ! Soudainement, à 50 mètres de mon affût, un premier cerf a commencé à bramer. Je me suis mis accroupi contre un arbre, puis un deuxième est apparu. Ils ont effectué la marche parallèle avant de s’affronter. Heureusement que j’étais en tenue de camouflage, car je n’ai pas eu le temps de rejoindre mon affût. Lors des 45 minutes qui ont suivi, je suis resté appuyé contre un arbre avec mon téléobjectif (400 mm). Au vu du poids conséquent de ce dernier, mes bras ont souffert… Mais cette émotion fut une des plus intenses que j’aie connue !

Ma première rencontre avec le lynx dans le Jura vaudois a été également bouleversante. Bien que cet instant fut éphémère — je n’ai croisé son regard que durant trois secondes avant qu’il ne disparaisse —, j’étais extasié. 

L’année passée, aux premières lueurs du jour, deux énormes cerfs se sont battus à dix mètres de moi.

Samuel Nugues, photographe animalier

Combien de temps durent vos affûts ?

Chaque sortie est unique. Ce soir, par exemple, je photographie les chouettes effraies. J’arrive sur place avant 21 h. Généralement, elles sortent à 21 h 20 et 25 minutes plus tard il n’y a plus de lumière. La sortie dure donc 45 minutes. Certaines espèces sont peu farouches et l’action surgit sans trop d’attente. Pour d’autres animaux, les affûts peuvent durer plusieurs heures. Bien évidemment, il arrive souvent de repartir bredouille. 

Sur le terrain, êtes-vous à la recherche d’une espèce en particulier ?

Je m’adapte aux saisons. Pendant le brame, je vais me concentrer sur le cerf. Au printemps, les chouettes que j’adore, et les strigidés (ndlr. Famille de rapaces) sont en général plus actifs. Quand vous sortez avec une espèce en tête, vous vous focalisez sur ce sujet et privilégiez des zones qui optimisent vos chances de la trouver. Mais il m’arrive parfois de ne pas avoir d’objectif particulier. Je me tiens à l’écoute et les occasions peuvent survenir aux quatre recoins de la forêt. 

La forêt, vous la parcourez souvent le soir après avoir exercé votre profession d’architecte. À quelle fréquence visitez-vous cet endroit ? 

Durant la période allant de mi-mars à mi-octobre, je m’y rends environ deux à trois fois par semaine pour procéder à des repérages ou à des affûts. À la belle saison, j’évite d’y aller le week-end, car il y a plus de passages humains. Par conséquent, la faune devient moins active et les animaux sortent tardivement. Les week-ends d’été, je planifie de ce fait mes sorties plutôt dans les Alpes. 

Quels conseils donneriez-vous pour réussir ses photographies animalières ?

Sortir ! Vous pouvez faire de nombreuses recherches sur internet, visionner des tutoriels, mais la clé reste avant tout d’être sur le terrain le plus souvent possible.

La recherche et les repérages ne contribuent-ils pas également à ce succès ? 

Je travaille essentiellement avec des cartes que j’utilise pour cerner les zones où il y a moins d’activités humaines. Mais j’ai beaucoup appris en discutant et en allant sur le terrain avec des personnes dotées de connaissances sur le sujet que je voulais approfondir. Cette manière de procéder m’a permis d’apprendre plus vite. Il existe également une pléthore d’ouvrages et d’articles sur la faune d’Europe. L’étape d’après est de trouver un secteur dont le biotope correspond à l’espèce et d’y passer du temps. Connaître l’espèce en amont est important pour définir la période et les endroits les plus propices pour la trouver. Par exemple, pour une chevêchette, il faut la chercher lorsqu’elle est en quête d’un partenaire et qu’elle se met à émettre de petits cris. Ce procédé permet de la repérer, car mesurant dix centimètres à peine, si elle ne chante pas, elle passe très facilement inaperçue…

Connaître l’espèce en amont est important pour définir la période et les endroits les plus propices pour la trouver.

Samuel Nugues, photographe animalier

Dans la vie courante, vous pratiquez la photographie à 20 % et exercez une profession d’architecte à 80 %. Dans ce cadre, vous êtes également amené à photographier des bâtiments. Percevez-vous des points communs entre ces deux pratiques ? 

C’est une question que j’ai passablement explorée ces derniers jours avec la mise à jour de mon site internet. Il n’est pas évident de présenter sur un même support ces deux univers ; je cherche à la fois à les séparer et à les présenter communément pour montrer l’ensemble de ma pratique photographique. S’il est vrai que je ne perçois pas de lien direct quant aux sujets, des similitudes peuvent survenir dans le rendu que je donne aux images notamment dans leur composition avec un cadrage assez épuré. Pour mes images de nature, je cherche généralement à mettre mes sujets en évidence et pour celles de bâtiments, je prête une attention particulière au contexte. 

Après le festival Naturellement Doubs, quels seront vos futurs projets ?

En ce moment, je travaille sur un mandat pour la ville de Nyon qui porte sur la faune. Depuis une année, je réalise des prises de vue pour ce projet et présenterai mon travail à priori en 2025. Je ne sais pas encore sous quelle forme, mais ce sera certainement au travers d’une exposition commune (ndlr. deux autres photographes ont été conviés à cet exercice et travaillent respectivement sur le thème des arbres et des parcs) et/ou d’un livre. 


Site internet de Samuel Nugues : https://www.samuelnugues.com/galeries-nature

Site internet du festival photo Naturellement Doubs : https://imagephotonaturedu.wixsite.com/monsite