Domaine La Colombe : la biodynamie, clé de vitalité dans les vignes ?

Du haut de ses 33 ans, la vigneronne Laura Paccot est aux commandes du domaine La Colombe sis à Féchy (VD). La viticulture biodynamique est au cœur de sa pratique. Interview.
Laura Paccot photographiée au domaine La Colombe – © KELSA

Depuis 1999, votre domaine viticole – autrefois géré par vos parents, Raymond et Violaine Paccot – a entamé une conversion en biodynamie. Quels en étaient les motifs? 

À l’origine, c’était surtout pour des raisons liées à la beauté du vin, pour son goût. Mon père s’est toujours beaucoup remis en question, et c’était pour lui comme une étape de recherche en vue d’obtenir de meilleurs vins. Cette démarche donnait également du sens à son travail, car dans le vin on parle beaucoup de terroir et l’on s’interroge notamment sur l’interaction entre le sol, le climat et les cépages. S’il n’y a pas de vie dans le sol, le mot terroir perd une grande partie de sa personnalité. Une fois lancé, mon papa a vite observé des changements sur la vigne et les sols. Avec les années, ce constat ne s’est que confirmé. 

Cette transition du conventionnel vers la biodynamie s’est-elle opérée facilement ?

Cela a duré longtemps ! Au minimum entre 7 à 8 ans avant de convertir l’intégralité du domaine. Mon père avait peur que ce changement ne stresse les vignes. Il a donc opté pour une approche graduelle, par zones, afin d’y observer leur réaction. Le stress peut en effet se répercuter sur le goût des vins !

Nous avons également plusieurs parcelles moins « mécanisables » où il est impossible de se rendre en tracteur. De plus, en biodynamie, nous augmentons le nombre de traitements, donc de passages… Il a ainsi fallu se décider pour passer le cap sur l’entièreté du domaine. Pour mes parents, la certification n’était pas importante, par conséquent ce n’est que depuis 2013 que nous avons obtenu le label Demeter !

Il y a souvent une confusion entre la viticulture biologique et biodynamique. Dans les grandes lignes, pouvez-vous définir ces pratiques ?

Je dirais que le vin bio c’est déjà l’essentiel, car la gestion du sol se fait sans herbicides. Selon moi, c’est le principal enjeu relatif à la culture biologique ! S’il y a une abondance d’eau, l’herbe poussera davantage en créant des zones d’humidité. Et l’humidité joue souvent un rôle dans l’apparition de maladies fongiques (ndlr. propre aux champignons) comme le mildiou ou encore l’oïdium. À l’inverse, lors d’une année sèche, s’il y a beaucoup d’herbe, cela créera de la concurrence avec la vigne. La gestion du sol est donc un facteur clé. 

Une autre différence de taille entre le conventionnel et le biologique, est que nous utilisons dans le second des produits de contact pour protéger les vignes. Avec la pluie, ils se lessivent et aucun résidu ne se retrouve ainsi dans le vin. Il suffit de les analyser pour le constater. 

Puis la méthode biodynamique va un pas plus loin que le biologique. Il y a cette idée de renforcer le système immunitaire grâce à des préparations. Celles-ci ont été documentées à travers le temps, mais ne sont pas 100% scientifiquement prouvées. C’est essentiellement de l’observation et du ressenti. 

Est-ce pour autant une pratique fondée sur des croyances ?

Non pas vraiment. Nous restons quand même très terre à terre dans nos actions. Ce que nous mettons en place fait du sens pour nous. Mais la biodynamie peut effectivement aller loin philosophiquement parlant. 

Globalement, dans la vie, il y a beaucoup de choses que nous ne pouvons pas prouver formellement, et pourtant leur existence est indéniable. Prenons l’exemple des mycorhizes, un sujet en vogue dans la sphère scientifique. Il y a 40 ans, personne n’en avait entendu parler ! La biodynamie s’intéresse justement à cette subtilité du vivant. 

Qu’est-ce les mycorhizes ?

Dans certains cas, les racines de la vigne n’arrivent pas à atteindre la nourriture. Pour pallier ce problème, elles vivent en symbiose avec des champignons. À travers cet échange mutuel de nutriments, la vigne peut s’alimenter, et les racines permettent quant à elles aux champignons de survivre. Il s’agit en réalité de filaments très fins, mais leur quantité est innombrable ! Dans tous les terrains, il y a des mycorhizes. Plus il y en a, mieux c’est ! 

Avec les mycorhizes, un nouveau monde souterrain s’ouvre à nous. C’est incroyable ! Depuis, il en découle des réflexions quant au recours à l’herbicide et du travail du sol, car cela peut les détruire ou les fragiliser. Dans notre région par exemple, nous n’avons plus envie de travailler les sols afin d’éviter de déranger les couches de terre et ainsi les préserver.

Avec les mycorhizes, un nouveau monde souterrain s’ouvre à nous. C’est incroyable !

Laura Paccot, vigneronne au Domaine la Colombe

Votre conversion en biodynamie était initialement motivée par des raisons gustatives. Depuis lors, la percevez-vous également comme une réponse aux enjeux écologiques ? 

Oui, c’est une évidence. Cela n’aurait pas fait de sens pour moi de revenir au domaine si je n’avais pas continué dans cette direction. Même durant cette année (ndlr. 2024) qui est assez rude, je n’ai jamais remis en question ce choix et les choses qui ont été mises en place.

Les crises de biodiversité et climatique sont de plus en plus documentées. Ces enjeux s’enracinent dans les formations viticoles et il y a même désormais des groupes de travail auprès desquels vous pouvez vous renseigner. Nous sommes par ce biais mieux informés quant aux alternatives écologiques.

Une des critiques à l’encontre de l’agriculture biologique est l’augmentation du nombre de traitements. Les dosages sont-ils supérieurs en bio ? 

Nous nous sommes déjà énormément améliorés avec le temps. Le label Demeter détient notamment l’un des cahiers des charges les plus stricts. Par exemple, pour l’utilisation du cuivre — souvent critiquée —, seuls 3 kilos par hectare sont autorisés chaque année. En culture conventionnelle, il me semble que nous sommes sur des chiffres similaires, en plus d’autres produits. À mon avis, ce débat-là est obsolète. Nous essayons encore de diminuer les doses en nous appuyant sur des connaissances qui s’affinent dans le temps, notamment quant au cycle du champignon. Nous bénéficions aussi de meilleures stations météorologiques ou encore de systèmes de pulvérisateurs. Tous ces outils nous permettent d’être plus précis avec les dosages. La recherche se poursuit dans cette voie et je suis persuadée que de nouvelles solutions vont émerger. La seule critique qui persiste, selon moi, est le nombre de passages, par rapport à la question de l’essence et du tassement du sol. Au regard de ce dernier, c’est surtout sur un sol travaillé qu’il ne faudrait pas se rendre en machine afin de ne pas le fragiliser. 

La Colombe existe depuis 1961, vous incarnez la quatrième génération de vignerons. Par étapes, vous avez repris de 2018 à 2023 la direction du domaine. Quelle réaction cela vous suscite ? 

J’adore mon métier parce que nous avons le contrôle sur toute la chaîne de production : de la récolte, la transformation des raisins jusqu’à la vente. Cette configuration confère énormément de liberté et de créativité. La vie est en perpétuel mouvement, autant le climat que les mœurs de consommation. On me demande souvent ce que j’ai apporté à La Colombe. Je pense que nous évoluons constamment. Mon père a par exemple dû changer beaucoup de choses pour s’adapter. Ce n’est pas une cassure, mais plutôt un cycle. En ce moment, j’essaie de retrouver d’anciennes mutations de chasselas, car elles ont potentiellement une meilleure adaptation au climat actuel et au terroir.

À ce sujet, poursuivez-vous des objectifs en faveur de la biodiversité, ou plus largement de l’écologie ? 

Nous sommes de grands défenseurs de la complantation (ndlr. l’art de mélanger les cépages dans un terroir). Avec la vigne, nous nous situons plutôt dans un schéma de monoculture. Notre ambition est de diversifier les cépages au sein d’une même parcelle afin de favoriser la biodiversité. Chaque cépage est sensible à différents éléments et attire de ce fait certains types d’insectes, de microorganismes, etc. La biodiversité est un véritable atout ! Toujours dans cette même optique, le deuxième palier est de replanter des haies ou des arbres sur les parcelles dont leur superficie le permet.

Concernant le bilan carbone, nous avons un projet de réemploi des bouteilles. Chaque année, ces dernières sont cassées pour être recyclées. L’idée est de relancer une filière de lavage. Un projet cohérent en Suisse, puisque nous exportons peu, que le pays est relativement petit et que les citoyens sont déjà bien éduqués en matière de recyclage du verre. Les chiffres le prouvent : environ 95 % du verre parvient à la déchèterie ! Nous venons de créer une association (2024), Bottle Back, forte d’un réseau d’une trentaine de vignerons. En ce moment, nous sommes en train de créer un moule pour ces bouteilles, car pour que cette démarche soit efficiente au niveau des transports, des lavages et des stockages, il faut réduire le nombre de modèles. Ce moule verra le jour en 2026 ! 

Parlons de vin justement… selon vous, quel est le secret d’un bon breuvage ? 

Je distingue les produits disons « industriels » et ceux qui ont été conçus avec une démarche plus réfléchie, voire artisanale. Mettre du sens dans ce que l’on fait est extrêmement important à mes yeux. Un bon vin est, selon moi, celui qui a atteint l’harmonie. Il ne m’est cependant pas évident de me prononcer quant à mon vin préféré… L’idée est de ressentir une sensation et prendre le temps de le savourer. Un bon vin ne se caractérise pas par un élément, mais plutôt par un ensemble de gestes bien interprétés.

Un bon vin ne se caractérise pas par un élément, mais plutôt par un ensemble de gestes bien interprétés.

Laura Paccot, vigneronne au Domaine la Colombe

Le vin est donc une création artistique ?

Je pense qu’il y a clairement une dimension artistique qui intervient. Chaque vigneron interprète son climat différemment, selon ses propres sensibilités et l’esthétique de goût qu’il recherche. À La Colombe, nous avons la chance d’attirer des personnes qui partagent nos choix et notre identité. Mais ne soyons pas trop élitistes et n’oublions pas que le vin est souvent le compagnon d’un repas ou d’un événement. Il est fait pour être bu et partagé !


Site internet du domaine La Colombe : https://www.lacolombe.ch

Nota Bene :

Le 31 août 2024, un événement SignFauna aura lieu au domaine La Colombe.

En 2021, Laura et son père Raymond Paccot ont fait une intervention dans le cadre de notre documentaire : Pesticide en Suisse : un enjeu de taille