SOS Chats Noiraigue : pas qu’une affaire de chats !

Entourée de ses 110 chats, Tomi Tomek, est depuis 1981 la co-fondatrice du sanctuaire SOS Chats Noiraigue. De la maltraitance à l’abandon, ses pensionnaires ont pour la plupart connu une vie difficile. Mais ce n’est pas la seule vocation de cette association, qui s’engage depuis 2019 à sauver les faons des machines agricoles lors de la fauche des prairies. Une mission confiée à son assistante Aurore Lecerf. Interview croisée.
De gauche à droite : Tomi Tomek, fondatrice du refuge SOS Chats Noiraigue et Aurore Lecef, responsable des missions de sauvetages de faons. / © KELSA

Tomi Tomek, comment a démarré l’aventure de votre refuge pour chats ?

TT —Le projet a débuté en 1981. Lorsque Elisabeth Djordjevic et moi sommes venues vivre dans ce canton, nous étions choquées : Les chats errants étaient tués par les paysans, les gardes-chasse (garde-faune selon les cantons) ou empoisonnés par les citoyens ! À la suite de cette découverte, nous avons pris à notre charge plusieurs de ces chats errants. Une nouvelle qui s’est vite répandue… Ayant entendu des échos positifs sur notre refuge, les dirigeants de la SPA du Locle nous ont très vite contactés pour nous confier plusieurs chats. Notre mission était de les apprivoiser et de les soigner, afin que cette association les récupère en vue de les placer. Cependant une fois, ces félidés guéris, la SPA qui affichait complet n’était plus en mesure de les reprendre ! Par conséquent, nous avons contacté le vétérinaire fédéral, puis cantonal, tous deux affirmaient qu’il n’existait aucune institution pour les chats maltraités, sauvages ou difficiles de caractère. Les solutions existantes étaient radicales : il s’agissait de les tirer ou de les euthanasier ! « Si ce jugement nous paraissait inacceptable, nous n’avions qu’à créer un centre nous-même », rétorquaient-ils. C’est exactement ce que nous avons fait ! 

Quels objectifs poursuit votre association ? 

TT — Nous réceptionnons actuellement des chats condamnés à l’euthanasie, que cela soit des chats caractériels, handicapés, ou même drogués par leur propriétaire toxicomane ! Ces chats ont beaucoup souffert, c’est pourquoi il est primordial pour nous, de leur offrir une vie digne et cela même s’ils sont âgés.

Notre second but est celui d’être actif dans la sensibilisation du public. C’est pourquoi nous planifions régulièrement des visites de notre refuge pour les enfants et les adultes et essayons de sensibiliser le public également à travers nos parutions dans les journaux.

Les chats errants prolifèrent en Suisse. Quelle est votre opinion sur la stérilisation et la castration ? 

TT —C’est un sujet important ! Nous souhaitons nous investir davantage dans les campagnes de sensibilisation, car les stérilisations et les castrations sont essentielles pour que la surpopulation de chats s’arrête ! En 2013, nous avons créé une fondation qui soutient notre association ainsi que des actions de stérilisation et de castration. Grâce à ce projet, nous sommes en mesure désormais de proposer une aide financière à la commune ou aux agriculteurs pour financer ce genre de démarche.

Quels avantages confèrent une stérilisation ou une castration ? 

TT – La stérilisation et la castration sont un sujet qui sème la controverse mais de nombreux avantages découlent pourtant de cette pratique :

Tout d’abord, une fois stérilisés ou castrés, les chats deviennent plus sereins. Les femelles non stérilisées peuvent en effet mettre bas jusqu’à 2 à 3 portées annuellement, ce qui est extrêmement lourd pour elles. Les mâles entiers, quant à eux, poussés par leurs hormones, se battent entre eux, et peuvent finir ainsi grièvement blessés. La stérilisation ou la castration des chats d’appartement limite également les dégâts dans les habitations, les odeurs désagréables d’urine et surtout un surpeuplement de chats qui se retrouvent sans adoption !

Concernant leur santé, ce procédé réduit les chances pour les chattes de contracter le cancer des mamelles. 

Par ailleurs, certaines personnes pensent que les chats une fois stérilisés ou castrés chassent moins. En réalité, nous observons plutôt le phénomène inverse ; puisque les chats ne cherchent plus à se reproduire, ils sont plus patients à la chasse. 

À Neuchâtel, si un chat se trouve à 200 mètres d’une habitation, l’habitant au bénéfice d’un port d’arme est autorisé à l’abattre !

Tomi Tomek, Fondatrice SOS Chats Noiraigue

Vous avez précédemment évoqué que dans le passé, les chats errants pouvaient être aisément tués. La situation a-t-elle évolué depuis ? 

TT —Malheureusement pas… mais chaque canton dispose de sa propre loi en la matière ! À Neuchâtel, par exemple si un chat se trouve à 200 m d’une habitation, l’habitant au bénéfice d’un port d’arme est autorisé à l’abattre ! En Argovie, la seule condition pour abattre un chat errant est que vous habitiez derrière une forêt. À Berne, il faut que le chat se trouve à une distance de 100 m d’une habitation. 

D’après l’article 5 de la Loi sur la chasse (LChP), les chats errants font partie des nuisibles. Cela signifie que les chasseurs peuvent légalement les abattre toute l’année ! Mais c’est à se questionner comment ils procèdent pour différencier les chats errants, des chats des propriétaires ? À la suite de l’introduction de la puce électronique, ces derniers portent de moins en moins de colliers…

Comment faites-vous pour gérer vos 110 chats et les missions annexes de votre refuge ? 

TT — Au sein de mon association, je travaille avec une équipe de 5 personnes engagées à mi-temps. Il est important que les employés sachent tout faire ! La propreté est un aspect pour lequel je me montre particulièrement vigilante, car s’il y a de la négligence, de nombreuses maladies peuvent être transmises aux chats. Par exemple, la maladie féline du PIF (Péritonite infectieuse féline), responsable de la mort de nombreux chats, peut vraisemblablement provenir des selles de ces félins.

SOS chats Noiraigue entreprend également des actions en faveur de la faune. D’où provient cet intérêt ?  

TT —Depuis mon enfance, je suis sensible à la faune. Mais un déclic s’est produit, il y a trois ans. En me promenant, j’ai croisé sur le chemin un agriculteur qui, sous la précipitation, a coupé involontairement un faon en deux ! Ce souvenir horrible me trotte encore dans la tête ! C’était comme si le destin m’appelait à mettre en place quelque chose pour les protéger ! Peu de temps après, grâce aux médias, j’ai appris que le drone pouvait permettre de répertorier les faons dans les champs. J’ai fait part de cette découverte à Aurore, qui a immédiatement manifesté un intérêt. Aurore a aussitôt suivi une formation pour pouvoir piloter le drone. Malgré le coût considérable d’un drone équipé d’une caméra infrarouge (la somme s’élevait à 10’000 frs), nous sommes parvenues à financer cet appareil avec le soutien de fondations et de particuliers.

Aurore Lecerf, je vous donne la parole… au sein de SOS Chats Noiraigue, vous êtes à la charge des missions de sauvetages de faons sur le territoire de Neuchâtel. Est-ce qu’il vous arrive de temps à autre de venir en aide à d’autres animaux ?

AL — Oui. L’année passée (2019), j’ai trouvé pour la première fois un blaireau européen. Ce mammifère appartenant à la famille des Mustélidés n’a pas de prédateurs et dort profondément. Sans mon intervention, il n’aurait probablement pas entendu la faucheuse ! Néanmoins, ce sont principalement des faons que nous trouvons. Ces animaux inodores ont l’instinct durant leurs trois premières semaines de vie, de se coucher, et de ne plus bouger. Cette stratégie de survie qui leur permet de ne pas se faire remarquer par leurs prédateurs, mais les empêche cependant de fuir lors de la fauche !

Les missions de sauvetage des faons se déroulent au mois de mai et de juin. Pourquoi cette période ? 

AL — Cette période coïncide avec la mise bas des faons. Vers fin juillet, les faons sont suffisamment grands. Ils partent ainsi d’eux-mêmes durant les moissons de blé. Cependant, par précaution, je prolonge mes interventions dans les champs jusqu’à début juillet, afin d’éviter tout accident. En effet, il y a deux ans (2018), par exemple, un agriculteur nous a dit qu’il avait fauché un faon le 29 juin !

Comment procédez-vous pour répertorier les faons ? 

AL — Les agriculteurs me contactent tout d’abord par téléphone. Avant mes interventions, j’essaie de connaître à l’avance le numéro de la parcelle du champ. Cela me permet de planifier mon vol la veille, sur l’application que j’utilise. Pour optimiser les recherches de faons dans les champs, je fais en sorte d’être toujours accompagnée et d’opérer entre 4 h 30 à 8 h 30 du matin. Après cet horaire, il est plus difficile de détecter des faons. La terre commence en effet à se réchauffer, ce qui fait apparaître de nouveaux points chauds tels que les pierres, les zones sans herbe, etc. sur ma tablette.

Une fois programmé, mon appareil est mis sous pilotage automatique. Quand je localise un point chaud, dans un premier temps, je m’en approche avec le drone. En fonction de la réaction observée sur ma tablette, de la couleur thermique et de la taille du point, j’essaie de déterminer s’il peut s’agir potentiellement d’un animal. Par exemple, si je survole un chevreuil adulte, il partira lorsque le drone s’approchera. En cas de doute sur la nature du point chaud, je me rends à pied sur le lieu indiqué. Je contrôle par ailleurs, toujours le point chaud après coup (dans le cas où il s’agirait d’un animal adulte) pour m’assurer qu’il n’y a pas également de petits !

Que faites-vous lorsque vous détectez un faon ? 

AL — Lorsque nous trouvons un faon dans un champ, nous le sécurisons en plaçant un cageot dessus le temps de la fauche. Si le faon est suffisamment grand pour fuir, nous le repoussons vers la forêt la plus proche. Il est primordial de ne pas les toucher ! En effet, si nous dérogeons à cette règle, la mère l’abandonnera ou il sera repéré par ses prédateurs… Dans tous les cas, nous demandons aux agriculteurs de venir faucher le plus rapidement possible pour éviter que le faon ne revienne entretemps. Dans le cas contraire, nous leur suggérons de revoir la zone à pied.

Combien de faons trouvez-vous en moyenne par champ ? 

AL — Dans certains champs, nous pouvons en trouver trois d’un coup, et dans d’autres, aucun. Ce n’est pas une science exacte, mais en moyenne, nous trouvons environ deux faons pour trois champs. Nous recommandons, par ailleurs aux agriculteurs, d’observer leurs champs au préalable, ceci afin de nous informer sur l’éventuelle présence d’un animal. Généralement, la plupart le font déjà.

En guise de conclusion, auriez-vous une anecdote à nous partager ?

AL — La première fois que j’ai découvert un faon fut un moment émouvant. Arrivée devant lui, je ne sais pas qui de nous deux a été le plus impressionné ! En revanche, cette première mission était un peu chaotique en raison de mon manque d’expérience. J’ai survolé un champ trois fois plus grand que ce qu’il était en réalité, en utilisant quatre batteries alors que désormais j’en utiliserai qu’une pour un tel champ ! Malgré tout, la bonne nouvelle est que les faons ont pu être sauvés !

Site du refuge SOS CHATS NOIRAIGUE  https://www.soschats.org

(1) On a souvent tendance à penser que la castration concerne les mâles et la stérilisation les femelles. Or en réalité nous pouvons très bien stériliser un mâle et inversement, il s’agit de deux actions différentes. Voir les deux définitions :

Castration: https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/castration/13676

Stérilisation: https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/stérilisation/74670